...En quelques minutes !
Histoire de comprendre que l'usage même du mot "nature" renvoie à des représentations. Et qu'il ne relève en rien de l'évidence, mais d'une approche, d'une conception, invisible à force d'être partagée, en Europe. Ailleurs, les relations entre les humains et les non-humains sont différentes. Un bond épistémologique essentiel.
On entre ici dans le détail des travaux de l'ethnographe, ethnologue et anthropologue qu'est Philippe DESCOLA. Et dans sa quadruple approche : animisme, totémisme, naturalisme (la nôtre) et analogisme
ARTICLE
Ici, un article grand public paru dans un magazine gratuit varois, qui expose deux grandes approches en termes de soins par les plantes. Le grand apport de Jean-Marie PELT est mis en valeur dans l'une de ses conférences.
LA MÉDECINE PAR LES PLANTES : DEUX APPROCHES
(Article paru dans le mensuel gratuit varois LOU NISTOUN - N°177 décembre 2020)
L’échelle des temps, en marchant
Marchons ensemble vers le passé : imaginez un peu qu’à chaque pas (70 cm), vous faites un bond d’un siècle dans le passé. Quinze pas, mille ans, et nous voici au Moyen Age ! Cent cinquante pas, 10.000 ans et plus d’agriculture visible. Combien faudra-t-il encore marcher pour voir apparaître la première plante terrestre ? A raison d’un pas par siècle, il nous faudra parcourir 3290 km (470 millions d’années). Soit Nantes-Moscou à pied, pas à pas. Cette image permet de retenir l’idée que les plantes sont près de 4000 fois plus anciennes que l’espèce humaine moderne. Elles ont eu 4000 fois plus de temps pour apprendre à se défendre chimiquement contre les microbes, virus et autres prédateurs.
Les poisons
Parmi les défenses, il peut s’agir de poisons comme par exemple les tanins des feuilles des arbres, bloquant mortellement la digestion des ruminants. De plus, les arbres préviennent leurs voisins dès qu’ils sont attaqués en libérant de l’éthylène dans l’atmosphère, provoquant l’afflux de tanins amers dans toutes les feuilles des arbres sous le vent, non encore attaqués. Ou encore ces molécules azotées que sont les alcaloïdes : hyoscyamine, atropine, scopolamine, morphine, codéine, etc. Sinon toujours mortelles, du moins répulsives.
Les plantes ont le double de nos clés (chimiques)
Et comme nous sommes nous aussi des êtres cellulaires, nous sommes sensibles aux molécules chimiques « inventées » par les plantes. Nos récepteurs chimiques sont d’abord sensibles à notre propre chimie, mais aussi à celle que l’on ingère. La molécule de caféine des plantes (la cocaïne de la coca, la théobromine du chocolat) imitent l’acétylcholine produite par notre corps : elle stimule, augmente la rapidité de fonctionnement du corps. C’est un stimulant. A l’inverse, l’héroïne (dérivée de la sève du coquelicot indien, papaver indica), prend la place des endorphines que notre corps produit. Et elle calme, endort, réduit la douleur.
La phytothérapie à démarche analytique
Une grande partie de l’histoire de la pharmacie a été de rechercher dans chaque plante LA molécule active parmi les dizaines d’autres molécules, voire centaines, présentes dans la plante. Et présentant un bilan avantages/risques satisfaisant pour telle ou telle maladie.
Cette démarche est un travail d’analyse, consistant à répertorier les diverses molécules composant ce cocktail chimique qu’est une plante. C’est l’approche la plus rapide et la moins onéreuse pour un laboratoire. Cette approche n’a pas mal fonctionné puisque nous disposons de molécules identifiées comme agissant seule : la morphine, l’aspirine (acide acétyle-salicylique extrait du cambium du saule), le quinquina, les dérivés de l’if pour certains cancers, etc.
La phytothérapie à démarche synthétique.
Mais cette approche analytique a des failles. Ainsi, Jean-Marie PELT, ethno-pharmaco-botaniste bien connu, sait nous rappeler l’une de ses expériences fondamentales : en analysant chimiquement la feuille d’artichaut, connue pour soigner efficacement le foie, il répertorie 7 molécules (la cinarine, la cinaropicrine, et cinq acides-alcools : citrique, malique, succinique, tartrique et hydroxy-méthyl-acrylique). Adoptant dans un premier temps la démarche analytique, il réalise des tests sur les souris : résultat, aucun des composant testé n’a d’effet protecteur du foie !
Aucun, pris isolément. Mais quand tous sont réunis, les effets attendus de la feuille d’artichaut sont au rendez-vous (cholagogue, cholérétique, hépato-protecteur). « Nous les avons mélangées et avons assisté à la monter en puissance de la feuille d’artichaut », dit Jean Marie PELT lors d’un Congrès des herboristes en 2014 (voir : https://urlz.fr/ehuF à la 11e minute ou ci-contre). C’est là que l’on découvre, en matière d’usage des plantes, que « Le tout est plus que la somme de ses parties ». C’est la synergie des composants, le « totum » (la totalité) qui agit. Autant dire que les marchands sur internet, qui vendent des plantes réduites à une molécule, prétendument active, ne sont là que pour faire de l’argent..
Le fruit de l’expérience
C’est toute la démarche de la phytothérapie, celle des tisanes des herboristes, celle de l’usage des plantes entières, fraîches ou séchées. La démarche n’est pas analytique : elle est observationnelle, pragmatique. Elle explore, observe les effets des plantes telles qu’on les cueille. Ce sont toutes les pharmacopées de nos territoires en France et celles des ethnies lointaines, partout et depuis la nuit des temps. L’usage des plantes pour prévenir ou soigner c’est le fruit de milliers d’années d’expériences, d’observations, d’essais ou d’erreurs.
Une démarche pragmatique
L’écriture ou la tradition orale retiendra ce qui « marche », éliminera ce qui ne donne rien, rend malade ou tue. Et cela, quelles que soient les explications, souvent farfelues et le plus souvent divines. Dans la « Théorie des signatures » (au XVIe siècle notamment), le dieu des chrétiens informe les humains par la couleur des fleurs, leurs formes. Il « signe » leur activité et donc leur usage. Les plantes à fleurs jaunes sont bonnes pour le foie, car la bile est jaune !…Des centaines d’autres divinités, celles des tribus amérindiennes, Sioux, Algonquins, Iroquois, proposent des explications qui ne sont pas davantage étayées scientifiquement, mais qui peuvent être transmises oralement de génération en génération, sous forme d’histoires, de récits. Et sans doute est-ce là l’essentiel.
Les bases de données ethnopharmacologiques
Pour en savoir plus sur toutes les pharmacopées amérindiennes, non polluées par la publicité et les élucubrations européennes sur les médecines d’« ailleurs », il y a les bases de données de la « Native American Ethnobotany DataBase », base de données des « américains natifs », c’est-à-dire les amérindiens. 25 ans de travail pour collecter toutes les recettes, toutes les tisanes des « Indiens », accessible par http://naeb.brit.org. Ou encore, toutes celles du Département de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) : https://plants.usda.gov/java
Bonne exploration !
Michel BRASSINNE (START)
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